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Institut de la Vie

 

clown au bouquet, Jean MARC

«La vie, facteur d'unité»

Une philosophie (suite)

La Vie, la Nature et l’Homme

Dialogue avec un philosophe

Par Maurice Marois, Professeur à la Faculté de Médecine de Paris,
Fondateur de l’Institut de la Vie
1985   -   EXTRAITS

Je suis un homme de science, un biologiste. Me voici dans une situation insolite, puisque je comparais devant un philosophe. Je crois nécessaire et fécond le type de dialogue qui pourrait s’instituer entre nous. La philosophie est pour moi la science suprême car elle analyse, synthétise, remet perpétuellement en question. Elle s’interroge sur le sens de notre destin. Elle éveille les consciences à leurs responsabilités, normalise avec prudence. Mais la philosophie ne se nourrit pas seulement d’elle-même. Elle entretient le processus de création intérieure grâce aux données toujours plus nombreuses que lui apportent les acquisitions de la science et les conquêtes de la pensée. Dans cette longue marche qui ne s’achèvera qu’avec l’homme, sa contribution est fondamentale : elle est l’esprit qui interroge, la conscience qui délibère, la sagesse qui se forge, s’enrichit et éclaire l’avenir. J’attends de la philosophie qu’elle situe la science dans sa dimension plénière. En retour, la science, pourvu qu’elle consente à porter sur elle-même un regard modeste, peut brosser le tableau de l’univers, la fresque de l’histoire de la vie et de l’homme et lancer à la philosophie un défi fraternel sur les enseignements qu’elle en tire. Puisque vous m’avez fait l’honneur de m’inviter, vous attendez de moi que je commence immédiatement cet exercice passionnant mais difficile. […]

La vie est notre patrie.

Nous sommes un moment dans la continuité d’une aventure. […]

Si les organismes vivants « font de l’avenir », si l’avenir est le seul domaine où la liberté se déploie, si les chemins de la vie sont aussi ceux de la liberté, si l’un des traits de l’homme est de faire l’histoire et non de la subir, alors la liberté avec l’homme s’incarne dans la création et prend possession du monde.

Destin grandiose, destin tragique si l’homme n’est pas égal à lui-même. [..]

À ce point de mon itinéraire, je voudrais chanter la vie et l’homme. […]

Proclamer la  vie comme valeur première me semble la plus urgente exigence de notre temps. […]

L’affirmation de l’être a pour complément l’affirmation de la nécessité du lien : car l’homme n’est pas autonome. Il appartient à l’univers dont il est un morceau pensant et souffrant. Il procède de la vie dont il est, dans l’histoire multimillénaire de l’évolution, l’actuelle forme suprême. Il appartient à l’espèce humaine dont il est solidaire.

Notre devoir majeur est de maintenir l’héritage de la nature.

La terre connaît la soumission du monde vivant et matériel à la volonté de l’homme. Jadis les cataclysmes géologiques firent disparaître les espèces. L’homme peut désormais provoquer des cataclysmes de mêmes dimensions. Il arrache la forêt de la surface de la terre et il lui substitue des déserts. Il supprime des biotopes millénaires où des espèces s’étaient maintenues dans des conditions de milieu qu’il bouleverse. Il provoque l’extinction d’espèces animales et jusque de certaines races humaines. Il compromet dès aujourd’hui sa propre descendance par les dommages génétiques qu’il inflige aux chromosomes de ses cellules germinales. Il peut, par l’explosion de l’atome, abolir toute forme de vie sur la terre.

Aujourd’hui, l’air, l’eau des rivières et des lacs, l’eau des océans, les sols, les ressources renouvelables et non renouvelables, les équilibres naturels, la faune, la flore, l’environnement physique, biologique, social, culturel sont gravement compromis. Et la planète souffre et souffrira des conséquences des pluies acides, de la diminution de la couche d’ozone, de la désertification, du réchauffement de la température, de l’extinction des espèces.

L’utilisation des combustibles fossiles libère massivement du gaz carbonique et provoque ainsi un réchauffement de la température. La conséquence prévisible est une élévation du niveau de la mer qui pourrait atteindre soixante centimètres en un siècle. Cette élévation submergerait les habitations de millions d’habitants.

L’ensemble des gènes du monde vivant représente une ressource irremplaçable d’une immense valeur pour les générations futures. Ils se sont développés et diversifiés pendant plus de trois milliards d’années. Ils subissent une grave érosion : un grand nombre d’espèces disparaissent. Ces disparitions s’effectuent à une telle vitesse qu’au moins un cinquième de toutes les espèces vivantes, plantes, animaux et êtres plus petits serait anéantis sous nos assauts au cours des trente prochaines années.

La qualité de la vie humaine est étroitement liée aussi aux valeurs culturelles et aux sagesses humaines souvent codifiées dans les religions, les philosophies, le droit. Les créations de l’esprit : l’art, l’architecture, la peinture, la sculpture, la prose, la poésie et la musique constituent le patrimoine de l’humanité. […]

La dialectique de l’homme et de la nature peut être dépassée par la réconciliation avec cette nature à laquelle il appartient et dont il n’est pas totalement possesseur. Nous l’asservissons. Nous pouvons la libérer en la respectant. Ce respect est indispensable à la survie. Les contraintes du réel imposent le frein à la violence, la nécessité de la sagesse, la limitation des débordements, la maturité responsable. Ici, la motivation de l’éthique est double : la nécessité première de vivre, primum vivere, mais aussi l’appel d’une pensée supérieure, organisatrice, expression d’un souverain bien, pensée inspirée par l’amour. Il est significatif que la dialectique de la vie et de la mort s’exprime en grec par la formule « Eros et  Thanatos ». […]

La volonté s’aiguise de ne pas laisser l’homme saccager et détruire la vie dont il est désormais comptable.

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Que pourrait être le rôle de la science ?

La science enrichit notre vision de l’univers, de la vie et de l’homme. Elle rend chaque homme plus conscient de sa petitesse et de sa grandeur. Elle nourrit la réflexion du philosophe et du moraliste. Elle éclaire les décisions des gouvernements modernes. Elle sous-tend l’activité industrielle. Elle ne peut pour autant prétendre à se substituer au philosophe, au moraliste, au responsable politique ou au chef d’industrie. Le pouvoir qu’elle exerce est d’une autre nature : il est le pouvoir de la pensée qui explore l’univers et modèle les applications technologiques de ses découvertes fondamentales.

Les hommes de science s’adonnent à l’observation du réel, à la recherche permanente des lois de la nature, c’est-à-dire d’un ordre intelligible. Leur attitude est d’interrogation incessante. Ils sont accoutumés à la rigueur du raisonnement : tout manquement est sanctionné par le démenti et l’échec. Quelques certitudes rassurantes les habitent ; réalité de l’objet étudié, valeur et efficacité de l’esprit rompu à l’analyse, la synthèse, la systématisation, la symbolisation. Leur quête s’est donné un objet d’une fabuleuse richesse : le réel organisé, et un instrument efficace : la raison adaptée à cette quête. Ainsi sont réunies les conditions d’un accomplissement heureux.

En fait, le succès vient sanctionner la démarche de la science. Le réel se laisse cerner et l’esprit se nourrit d’une vision enrichie de l’univers. Autre critère d’efficacité : la science donne aux hommes l’empire sur le monde.

Les hommes de science exercent un très grand prestige car ils détiennent le savoir. Leur combat est celui de l’intelligence. Prométhées du XXème siècle, ils incarnent la forme la plus haute de l’effort humain pour étendre l’empire de l’homme et changer la vie. Ils sont le symbole du défi et du refus : défi de l’esprit engagé dans le grand combat de la connaissance, refus de considérer comme définitive l’actuelle condition humaine.

La science chasse les ombres de fantasmes utopiques. Aux espérances sécrétrices de millénarisme, elle apporte une réponse concrète et non décevante.

Les savants sont conscients de la puissance de la science. Ils forgent l’instrument de la révolution et ils découvrent soudainement que l’instrument est plus grand que l’homme. Ils sont les accoucheurs du futur. Et ils  s’inquiètent.

La science est un instrument du destin humain pour le meilleur et pour le pire. Sa justification à prendre part au grand débat pour une stratégie de l’humanité,  est le caractère universel de sa démarche, la rigueur de sa méthode, l’importance du capital de connaissances qu’elle crée et qu’elle détient, le mouvement qu’elle imprime à la condition humaine en bouleversant la situation de l’homme sur la planète par l’usage bienfaisant ou périlleux de ses résultats. Dans la conscience du savant, héros et démiurge, se vivent de la manière la plus intense les drames et les chances du monde. Et il n’est pas indifférent que la science participe à la mutation de ce monde douloureux et magnifique.

La mise en ordre rationnel du monde ne sera jamais achevée. Toujours de nouvelles utopies hanteront les rêves de l’homme créateur de mythes, toujours de nouvelles terres inconnues surgiront, offertes à l’esprit de conquête, toujours de nouveaux prophètes se lèveront et exerceront leur fonction de vigilance et d’éveil aux postes avancés de l’humanité, toujours l’individu exprimera son unicité, toujours les artistes exprimeront ce qui n’appartient qu’à eux en réalisant une œuvre unique à l’image de leur être irremplaçable. Enfin le chant d’optimisme qui s’élève devant les victoires de la science, devant les perspectives de l’âge d’or ne nous fait pas oublier le tragique fondamental de la condition humaine. Rien n’est assuré. Et nous restons pauvres, nus et seuls devant la mort.

Dans la conscience collective, se dessine l’idée d’une existence et d’une histoire communes que la mort peut transformer en destin.

Voici que la mort omniprésente étend sa menace à l’espèce toute entière. Face à cette menace globale, la mémoire collective évoque la longue marche de la vie, son combat, sa résistance aux forces de destruction et sa victoire toujours remise en cause. Et la volonté de vivre esquisse sa riposte.

L’accélération de l’histoire déporte vers des situations limites l’humanité toute entière, avec ses savants, ses hommes de gouvernement, ses philosophes et le plus humble des mortels. Dans ces situations, les solutions traditionnelles sont inadaptées. Le temps est révolu où l’humanité semblait « faite de plus de morts que de vivants » (Anatole France). Désormais, l’homme est habité par plus de projets que de souvenirs. Son passé n’est plus qu’une étroite frange du présent. Son avenir le happe tout entier. Liberté ou errance ? […]

Dans le tumulte de l’histoire contemporaine, on perçoit l’attente d’une nouvelle renaissance, je veux dire de ce qu’il faudra bien appeler un humanisme des temps nouveaux qui doit donner un sens à nos vies et régler nos conduites. Il puisera sa lumière à deux sources : la reconnaissance de la valeur de la vie, l’affirmation de la grandeur de l’homme, libre et responsable. […]

Au-delà de l’ivresse scientifique et technique, l’accélération de l’histoire propose à notre génération une tâche grandiose. Dépasser l’angoisse pour rejoindre les certitudes : non pas «  la patrie tranquille où la mort est un silence heureux » selon la formule d’Albert Camus, non pas les enchantements de l’Olympe des Héllènes, pas davantage le dolorisme qui donne la première place à la douleur humaine et substitue au Zeus de Phidias l’homme de douleur de Mathias Grunwald, mais une vision plus sereine qui intègre le respect de la vie et l’acceptation de la mort, la joie et la douleur, le succès et l’échec, le passé et l’avenir, la connaissance et l’amour, l’esprit d’entreprise et l’esprit de perfection, la contemplation et l’action, l’éphémère et l’éternel, la parcelle et le tout, l’atome et l’univers, le zéro et l’infini. […]

L’Institut de la Vie fait appel à ce qui est le plus élevé en l’homme : la liberté, et à ce qui est le plus élémentaire, je dirai le plus viscéral : l’instinct de conservation. Ce qui permet d’unir dans une même pensée et dans une même action les préoccupations du corps et de l’esprit pour maintenir l’intégrité de la vie biologique et affirmer les exigences de la vie de l’esprit, ce qui permet encore de rejeter avec une rigueur intransigeante tout attentat à l’intégrité de l’espèce et de l’individu, toute modification de l’environnement humain qui compromet l’épanouissement biologique et spirituel.

Car l’homme ne se récapitule pas dans un ensemble de besoins matériels. La faim et la soif sont-elles apaisées, d’autres faims et d’autres soifs appellent. L’aspiration à la justice reçoit-elle une première réponse, d’autres aspirations élèvent leurs revendications : l’exigence morale, le don gratuit, l’amour.

Nous refusons le pessimisme radical invitant à brûler l’instant au brasier de l’ultime fête et notre espérance n’est pas utopie.

Un monde meurt, un autre naît. Même si nous sommes attentifs aux signes du déclin, nous le sommes plus encore à ceux de la naissance et du renouveau. Nous sommes plus sensibles aux palpitations de l’aube qu’aux derniers feux du crépuscule.

Certes, le défi est immense que lance le siècle. Et le vertige peut saisir les plus lucides.

Mais, au sein de l’Institut de la Vie, il renforce ceux qui ont pris la mesure de l’homme pour avoir pris la mesure de l’histoire de la vie, histoire forgée par trente millions de siècles et que soixante millions de siècles appellent. Éduqués par cette fabuleuse histoire, ils savent la volonté d’être, l’opiniâtreté, les ressources de la vie et ils misent sur la force de l’esprit pour conjurer ce que la faiblesse et le sentiment de la mort appellent la fatalité ou le destin tragique.

Cette volonté de comprendre, de prévoir et d’agir, sous-tendue par l’admiration et l’amour de la vie, anime l’Institut de la Vie pour les plus grands accomplissements de l’homme.

L’avenir appartient à la volonté de vivre des peuples. Chaque peuple détient une parcelle de l’espérance de vie, une frêle étincelle. Toutes ces étincelles peuvent être rassemblées en un immense brasier.

À côté des grandes forces politiques, économiques, syndicales, scientifiques et technologiques, un jour surgira des profondeurs une force primitive élémentaire, la vie qui veut persévérer et qui se sent aujourd’hui obscurément menacée. C’est cette force élémentaire qui a pris dans certains mouvements de jeunes la forme de la contestation radicale. C’est cette force qu’il importe aux hommes de responsabilité d’arracher aux pulsions irrationnelles ; c’est à cette force qu’il convient de donner une expression rationnelle et constructive.

La vie pose désormais des problèmes politiques ; c’est un avènement ; la nécessité d’assurer la sécurité biologique prend place à côté des autres nécessités. Le jeu politique sera de plus en plus commandé par la prise de conscience générale des besoins biologiques de l’homme mais aussi de ses besoins qualitatifs, esthétiques, spirituels.

L’Institut de la Vie est un acte de psychologie totale. Face à l’ivresse sanglante des paroxysmes où triomphe la mort, il organise un autre paroxysme, celui de la vie. Il ne s’agit nullement d’une exaltation collective mais d’une communion lucide, joyeuse et grave dans l’ardente affirmation de la volonté de vivre.

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