<%@LANGUAGE="JAVASCRIPT" CODEPAGE="CP_ACP"%> Maurice Marois
Accueil > Institut de la Vie > Genèse

Institut de la Vie

 

Maurice Marois

«La vie, bien premier.»

Genèse : les premiers pas

VISITE A ANDRE MALRAUX

Le 9 janvier 1968 à 16 heures 30

C’est un événement important pour l’Institut de la Vie et pour moi-même que d’être reçu en audience par André MALRAUX. Je vais tenter d’être devant vous le témoin de la vie et le témoin de la science, de vous présenter une pensée géante et une conspiration des amants de la vie : l’Institut de la Vie. Je solliciterai votre conseil pour qu’une certaine idée que nous nous faisons de la France puisse continuer d’être présente au sein de notre institution.
Parce que je suis un homme de science, je sais que le destin des hommes se joue aussi dans les laboratoires. Parce que je suis un biologiste, je sais que la vie est précieuse, qu’elle est fragile et qu’elle est menacée. Le biologiste a rendez-vous chaque jour dans son laboratoire avec le mystère de la vie. Il en connaît l’histoire héroïque, fabuleuse. Il sait à quel avenir elle est encore appelée et il sait aussi quelle menace pèse sur elle. La vie n’a pas été improvisée. Elle est le résultat de l’effort de 25 millions de siècles. La vie a une histoire et l’évolution nous montre la lente montée de la vie vers les formes supérieures d’organisation. Dans chaque cellule, le biologiste entend le bourdon des millénaires. La vie dépense sans compter pour survivre : une seule émission de liquide séminal contient 300 millions de spermatozoïdes (la population de l’Europe de l’Ouest) ; 10 émissions et c’est la population du globe. Quatre cent mille ovules sont contenus dans l’ovaire d’une petite fille à la naissance dont 400 seulement sont émis au cours des 30 ans de la vie génitale de la femme. Ainsi, des milliards de spermatozoïdes, des centaines de milliers d’ovules sont-ils dispensés pour que d’un seul couple aient quelque chance de naître deux ou trois enfants. Enfin, elle est appelée à un grand avenir. La terre serait habitable pour l’homme pendant encore six milliards d’années. C’est dire que l’homme a parcouru la 10.000ème partie de son chemin depuis l’apparition du premier homme. Grand avenir de la vie certes, mais avec ou sans l’homme ? Au sommet de l’évolution, l’homme détient le moyen d’en finir avec sa propre aventure. L’instrument nouveau de son destin, c’est la science. La science donne à l’homme un pouvoir sans mesure dont aucune sagesse nouvelle ne vient régler l’usage. La science, par ses découvertes incessantes, nourrit l’éternelle méditation de l’homme sur sa petitesse et sur sa grandeur. Elle lui a donné la maîtrise du monde inanimé et du monde vivant. Elle renouvelle ses conceptions de lui-même et du cosmos. Vainqueur de tous ses ennemis, l’homme, le dernier-né de la vie, s’affronte désormais à lui-même. Maintenir, transmettre la vie, telle est l’humble leçon du virus, de la bactérie, du ver de terre et du roseau. Cette sagesse élémentaire des formes primitives de la vie, l’homme, forme supérieure, va-t-il la méconnaître ? Va-t-il utiliser cette suprême acquisition de la vie, la liberté, pour la retourner contre la vie ?
Et voici que se livre la revendication de la vie qui veut vivre.
La vie a une politique : persévérer, s’exprimer.
Persévérer : certaines espèces sont les obscurs témoins des premiers âges. Elles ont traversé des millions de siècles en se reproduisant identiques à elles-mêmes. Vers quel rendez-vous ? Et voici que l’homme peut se dresser contre cette marche éternelle dont parle BATAILLON.
S’exprimer : ici, l’instrument est l’acide nucléique, qui utilise un alphabet de vingt lettres et un code de quatre chiffres. Imaginez les poèmes que la nature peut écrire avec de tels moyens ! Avec cet alphabet, la vie compose, défait et recompose à l’infini ce monde de formes d’une inépuisable richesse. La vie connaît un drame : la pénurie et la fragilité. La pénurie : une seule bactérie à qui l’on donnerait tous les moyens de se multiplier sans frein synthétiserait en 8 jours une masse de matière vivante supérieure à la masse de la terre. Or, il est bien vrai qu’une bactérie ne fabrique pas une terre tous les 8 jours.
La fragilité : 600 rœntgens suffisent à détruire un homme. Or, 600 rœntgens représentent en énergie 60.00 ergs, c’est-à-dire la millième partie de l’énergie que notre organisme consomme en une seconde. Six cents rœntgens pour tuer un homme, des centaines de milliers de rœntgens pour détruire une cellule isolée, des millions de rœntgens pour détruire les constituants d’une cellule, en cas de cataclysme atomique toute vie ne disparaîtrait pas de la terre, mais toute forme supérieure radiosensible. Après l’épreuve, la vie serait appelée à un nouvel avenir, vers une nouvelle évolution, dans de nouvelles conditions de milieu. Mais l’effort de millions de siècles serait perdu.
Je crois que la vie si vieille, si opiniâtre, est jeune. Nous sommes un moment de son histoire. Une mission millénaire nous est confiée : la perpétuer. C’est ce que veut tenter l’Institut de la Vie. Sa démarche est double : sur le plan de la connaissance et sur celui de la fraternité. La connaissance : au-delà des apparences de la profusion et de la richesse des formes, nous voulons saisir l’insaisissable, c’est-à-dire les lois profondes qui sous-tendent cette profusion et qui peuvent apparaître comme un reflet de la pensée de Dieu. Ce fut l’objet de notre grande conférence internationale de Physique théorique et de Biologie où quatre-vingts des plus grands savants de la terre, appartenant à 14 nations, se sont posé la question éternelle : « qu’est-ce que la vie ? ». Cette conférence s’est tenue à Versailles, du 26 au 30 juin 1967. Elle fut un grand succès pour la science, pour l’Institut de la Vie et pour la France puisque nous avons reçu mission de réaliser la même conférence à Versailles dans deux ans. Aujourd’hui, l’Institut de la Vie connaît un essor universel. Et notre problème est de maintenir la présence de la France.

André MALRAUX : L’idée me séduit. Je comprends votre grand dessein – avec un e –. Votre succès ne m’étonne pas, car votre œuvre répond à un besoin des hommes. J’avais rencontré une inquiétude et ce succès est d’abord dû à la réponse que vous avez apportée à l’inquiétude. C’est le succès de l’inquiétude. Toutes proportions gardées, je le comparerais au succès des Maisons de la Culture qui, elles aussi, répondaient à une attente. Songez qu’à Bourges – Bourges ! –, il y a plus d’abonnés à la Maison de la Culture que n’en compte la Comédie Française ! Avez-vous publié les compte-rendus de votre Conférence de Physique théorique et de Biologie ?
Que peut faire le gouvernement pour vous ? Il serait naturel que le Ministre de la Santé Publique fût saisi des grands problèmes de l’Institut de la Vie. Mais étant donnée la dimension de l’entreprise, seul le Chef de l’Etat eu niveau suprême pourra en intégrer tous les aspects. Il est donc urgent que le Général soit officiellement informé des promesses en clause dans l’Institut de la Vie. Le Ministère de la Culture peut éventuellement vous aider. Sous quelle forme ?

Maurice MAROIS : Une Maison. Pouvez-vous offrir à l’Institut de la Vie une Maison de la Vie, digne de la France ? Il y a deux conceptions : soit une maison orientée vers l’avenir, soit une maison riche de passé. Je préférerais la seconde formule. Car le drame du monde tient dans le fait que l’homme est plus riche de projets que de souvenirs. Et il pourrait paraître dangereux que l’humanité se présente à son nouveau destin comme un voyageur sans bagage, les mains nues.

André MALRAUX : Je pense à Versailles et au Palais de Chaillot. Bien sûr, on pourrait imaginer un Château du Marais. Mais il faudrait un milliard de réparations et vous ne les avez pas. Si vous les aviez, vous ne viendrez pas me rendre visite. A Versailles, je pense aux Petites Ecuries, ainsi nommées parce qu’elles étaient les grandes, et qui, malgré leur nom, sont des palais. Vous avez besoin d’un lieu symbolique et non pas d’immenses bâtisses. L’essentiel, c’est que le cadre soit digne. Versailles est aussi digne que le Palais où je vous reçois. Vous y trouverez par surcroît l’eau, le gaz et le téléphone. Je pense aussi au Palais de Chaillot qui, dans un autre style, a ses prestiges et ses mérites. Des locaux vont s’y libérer puisque, justement, nous allons transférer quelques bureaux à Versailles.

Maurice MAROIS : Je vous signale, Monsieur le Ministre, que deux autres ministres d’Etat ont été informés des développements de l’Institut de la Vie : M. Edmond MICHELET qui m’a accordé une audience, et M. Maurice SCHUMANN qui a présidé notre dernier congrès.

André MALRAUX : M. Edmond MICHELET s’occupe de la fonction publique. Il ne peut donc pas vous aider. Il a joué son rôle puisque c’est lui qui m’a transmis votre demande d’audience. Il pourra seulement vous offrir un déjeuner. Quant à Maurice SCHUMANN, son rôle pourrait être important. Non pas qu’il vous soutienne beaucoup. Mais il pourrait être hostile, ce qu’il faut éviter.

Maurice MAROIS : Etant donné cet état d’esprit, il faut alors que je l’informe que je vous ai rendu visite.

André MALRAUX : Simplifions. Je lui dirai demain au Conseil des Ministres que vous m’avez chargé de lui dire que vous m’avez rendu visite.

Maurice MAROIS : Notre objet suprême est de créer une sorte de Collège de France à l’échelle du monde, voué à la vie comme le Collège de France est voué à la connaissance.

André MALRAUX : Le danger, c’est que vous tomberez dans la mouvance du Ministère de l’Education Nationale, ce qui serait la pire des catastrophes car vous risqueriez d’y trouver l’hostilité ouverte de l’Université.

Maurice MAROIS : Il ne saurait en être question puisque nous avons une vocation universelle et que nous ne pouvons pas être rattachés à un ministère français.
Je peux vous dire, Monsieur le Ministre, à quel point nos analyses se rencontrent. Dès le premier jour j’avais souhaité saisir l’Elysée de notre grand projet, il y a plus de 8 ans. J’ai été reçu par Monsieur LELONG qui s’occupait alors à l’Elysée des problèmes de la science. Monsieur LELONG m’a dit : « Mon cher Collègue, vous êtes Professeur à la Faculté de Médecine. Je suis Professeur à la Sorbonne. Que va penser l’Université ? » Le contact n’a pu être rétabli avec l’Elysée qu’au moment de notre essor universel, lorsque des problèmes de politique internationale se sont posés à nous. Dès lors, j’ai été accueilli avec une très grande compréhension et une grande bienveillance par Monsieur de SAINT-LEGIER qui a guidé nos pas hors de France.

André MALRAUX : Ca ne m’étonne point. Monsieur de SAINT-LEGIER est totalement indifférent à l’Université. Bien sûr, il ne faut pas qu’il se sente éliminé du circuit. Vous allez être reçu sur ma demande par le Secrétaire Général de l’Elysée. La formule que vous aviez adoptée – et vous n’en aviez pas d’autre jusqu’ici -, c’était l’approche de l’Elysée de bas en haut. La formule nouvelle devra être : la réponse de l’Elysée de haut en bas. J’en parlerai dès demain au Général de Gaulle. Le Général de Gaulle recevra ainsi, après la visite que vous aurez rendue à la demande du Général de Gaulle au Secrétaire Général de l’Elysée, une note du Secrétaire Général.

Maurice MAROIS : Voici le texte de ma déclaration à la conférence de presse qui a marqué la fondation du comité belge de l’Institut de la Vie.

André MALRAUX : Je lirai cette note pour ma gouverne, mais je ne la transmettrai pas au Général car sinon cette note apparaîtra comme un document parmi des milliers d’autres. Lorsque vous serez reçu par le Secrétaire Général, vous ne serez pas accueilli comme un inconnu qui sollicite. Le Secrétaire Général se sentira en service commandé, investi d’une mission. Il devra rédiger l’une des 5 notes que le Général reçoit chaque jour et dont il prendra attentivement connaissance chaque soir avant 10 heures.

Maurice MAROIS : L’autre grand problème est celui d’une certaine idée que nous nous faisons de la France, au sein de l’Institut de la Vie. Jusqu’ici, nous avons refusé d’approcher les Etats-Unis que nous redoutons, car la civilisation américaine nous apparaît comme une anti-métaphysique. Mais à la suite du succès de notre conférence internationale, nous n’avons pas pu éviter la dissémination explosive de l’Institut de la Vie dans le monde, et nous rencontrons désormais les Etats-Unis sur notre chemin. Les propositions américaines sont, comme il fallait s’y attendre, somptueuses. Mais le problème est de rester nous-mêmes. Peut-être le Général de Gaulle pourrait-il nous aider à garder notre visage.
Faut-il provoquer la révolte des gueux ? Car nous pourrions nous appuyer sur le Tiers-Monde et engager le procès de l’Occident au nom de certaines valeurs de vie que la civilisation technologique a méconnues. Mais je préfère que l’Occident tente de répondre au problème qu’il a lui-même posé. En Occident qui mieux que l’Europe, et en Europe qui mieux que la France est plus apte à apporter une réponse puisque la France est elle-même lorsqu’elle rejoint l’universel ?

André MALRAUX : C’est mon avis. Le Tiers-Monde ne vous apportera que ses contradictions. Sa vision du monde n’est pas unifiée.

Maurice MAROIS : La solution me semble être de créer une organisation internationale complémentaire de l’O.N.U., de la F.A.O., de l’UNESCO et de l’O.M.S. Ces dernières sont des organisations d’action. La nôtre devrait être une organisation de réflexion. Il s’agit d’aller plus loin que l’histoire, de la gagner de vitesse et d’établir une structure d’accueil où les valeurs éprouvées comme permanentes et universelles survivraient au monde périmé qui les a produites. Cette structure qui serait en propre l’Institut de la Vie intégrerait toutes les richesses et sagesses du passé, scruterait toutes les potentialités de l’avenir et les confronterait avec les exigences et les aspirations permanentes de l’homme indivis, temporel et intemporel. Dans ce haut lieu, l’humanité entreprendrait un sorte de méditation sur elle-même, sur son passé, son présent et son avenir. Structure inter-gouvernementale plus la liberté : l’Union Internationale des Avocats est disposée à inventer un droit nouveau où la liberté serait sauvegardée. Un appel pourrait être lancé par des pays non engagés : le Président de la Suisse, le Chancelier d’Autriche, le Premier Ministre du Canada, le Président du Sénégal, le Premier Ministre de l’Inde, au moment de la réunion de la prochaine assemblée générale de l’O.N.U. Pensez-vous que le Général de Gaulle accepterait l’idée que nous puissions nous appuyer sur l’O.N.U. (j’ai rendu visite à Monsieur Philippe de SEYNES, Secrétaire Général adjoint de l’O.N.U.) pour échapper au tête-à-tête avec les Etats-Unis ?

André MALRAUX : Certainement. Pour le Général, il importe et il suffit que la France soit présente. Dans les grandes initiatives de caractère international, c’est désormais l’attitude de l’Elysée et du Gouvernement. Mais si l’appel est lancé de Versailles, il est important que la France vous salue : c’est-à-dire avec, par exemple, les projecteurs de la Télévision, plutôt que de lancer votre appel dans l’anonymat.
Je ne sais pas quelle sera la réaction du Général de Gaulle. Il entrera certainement dans votre dessein. Il ne lui sera même pas nécessaire que vous ayez déjà réalisé une œuvre, dans la perspective d’unité où vous vous placez, car il saisira d’emblée qu’une telle institution se juge par sa nécessité, sa longue visée, dans l’amplitude de son ambition et non dans l’œuvre déjà accomplie. Deux hypothèses : il peut dire au Secrétaire Général de l’Elysée : « il faut aider à fond l’Institut de la Vie et faites pour le mieux, à vous de trouver les moyens » ; dans ce cas vous pouvez être assuré d’obtenir un soutien très important. Mais il peut encore dire : « le projet n’est pas tout à fait mûr. Suivez simplement le développement de l’affaire. » Alors, évidemment, le résultat sera bien moins favorable.

Maurice MAROIS : Un autre problème sera l’organisation d’une Conférence Internationale sur la condition humaine. Je souhaiterai vous entretenir de ce projet, mais dans un second temps.

André MALRAUX : C’est en effet un projet important. Mais il faut parer au plus pressé : l’Elysée et une demeure.

retour au sommaire

page précédente / 1 / 2 / 3 / 4 / 5

haut de page